L'Art de conter (FR)

Ma statue de Shiva Nataraja, l’icône indienne de la danse, et ma 1ere paire de Ghungooroos. Nov.2019

Ma statue de Shiva Nataraja, l’icône indienne de la danse, et ma 1ere paire de Ghungooroos. Nov.2019

Hier se terminait pour moi 3 années d’apprentissage en diplôme universitaire à l’Université Hindoue de Bénarès dans l’un des 8 styles de danse classique indienne, la danse Kathak. Loin de moi l’idée d’égaler un jour les grands danseurs indiens, j’ai approché cette opportunité humblement désirant immerger un peu plus dans cette culture qui me fascine et me façonne. La danse Kathak incarne l’Inde que j’aime: riche, complexe, spirituelle, exigeante, poétique, souple, romantique et forte. Facilement reconnaissable parmi les autres styles classiques, elle se distingue rapidement par ses costumes, sa posture droite et son dynamisme. Ce style moins populaire en France que le Bharatanatyam mérite tellement d’être connu davantage. De part son histoire et son évolution au fil des siècles, il est le symbole d’ouverture, d’adaptation et de mixité culturelle.

Le système de musique et danse indien trouve ses racines dans un traité datant d’il y a 2000 ans environ appelé NatyaShastra traitant de dramaturgie et arts de la scène, considéré comme le 5ème Véda (les Védas sont les textes fondateurs de l’Hindouisme). Potentiellement, tous les styles de danse classique indiens peuvent s’y référer, il existe également de nombreux autres textes. La tradition de la danse ainsi codifiée, une performance est considérée accomplie si elle parvient à évoquer des sentiments (Rasa) en évoquant une émotion particulière (Bhava). Les styles classiques de musique, chant et danse en Inde, ensemble appelé ‘Sangeet’, sont de 2 genres majeurs: carnatique et hindoustanie, respectivement sud et nord de l’Inde. Elles diffèrent l’une de l’autre depuis le 13ème siècle environ, après l’arrivée des Moghols et influences perses. Il est difficile désormais pour les musiciens du nord et du sud du pays de jouer ensemble tant les règles ont évolué pour la musique hindoustanie au fil des siècles. Les domaines artistiques de l’Inde restent difficilement appréciables en profondeur sans être initié aux symboliques, aux règles et structures tellement complexes et diverses.

Chaque région a développé un style de danse propre, il existe des centaines de styles folkloriques. Comme précisé plus haut il est reconnu à ce jour 8 styles de danse classique. La plupart d’entre eux trouvent leur origine dans les temples, les Devadasis (servants de Dieu) dansaient face à la statue ou l’image de la divinité du temple, à l’époque c’était une danse solo. Les temples avaient ainsi les meilleurs danseurs et musiciens à leur service dans une intention de dévotion et d’offrande, mais également comme moyen de narration des légendes liées aux divinités.

C’est le cas pour la danse Kathak, qui est la danse reconnue du nord de l’Inde et dont le nom dérive de “Katha” qui signifie “histoire”. Les Kathakars étaient des conteurs nomades d’histoires et de légendes hindoues utilisant le mime à travers le système complexe codifié des mudras (positions des mains), expressions et mouvements du visage, des yeux, du cou et de la tête. Cet ensemble est appelé Abhinaya et reste un élément essentiel de la danse Kathak aujourd’hui. Ce style né dans les temples hindous de la plaine indo-gangétique est donc enraciné dans l’hindouisme brahmanical. On trouve mention des ‘Kathaks’ dans la section Adiparva de l’épopée religieuse du Mahabharata qui, accompagnant Arjun à l'entrée de la forêt captivaient les cœurs en interprétant leurs histoires grâcieuses, apportant douceurs aux oreilles et prouesses pour les yeux. Il existait des conteurs oraux et des conteurs par le mime. Le kathak a reçu durant les règnes des empires post Maurya (Gupta et Pala) une nouvelle impulsion dans la région où la musique et la danse étaient exaltés. Puis, entre le 13ème et 16ème siècle le mouvement de renaissance religieuse (l’ère Bhakti) apporta un élément de romantisme, les légendes de Radha et Krishna prirent de l’importance (émotions de dévotion, désir, chagrin et joie). C’est à cette période que la danse se sépara de la spiritualité des temples et commença à être influencé par des éléments folkloriques, et des émotions humaines. Après le 16ème siècle, la danse entra dans les cours mogholes et commença à acquérir sa forme distinctive et ses caractéristiques par la rencontre de différentes formes de danse et de musique, plus particulièrement perses. L’environnement changea l’orientation des danseurs des temples (séduits par les cadeaux en or, bijoux et faveurs royales) d’un art purement religieux, au divertissement des cours royales mogholes. Durant la pleine expression du patronage le concept de Gharanas (’maisons’, lignées de professeur-disciple) vit le jour au début du 19ème siècle. Certaines caractéristiques techniques et stylistiques commençaient à se fossiliser et devenaient les signes distinctifs, la signature d’une école, d’un professeur ou d’un groupe de professeurs. Durant cette période, la danse Kathak était également considérablement exécutée par les Tawaifs, coutisanes semblables à celles de la tradition des Geishas du Japon. Elles développaient cet art en parallèle du raffinement des cours royales, dont elles partageaient les mêmes professeurs, avec lesquels elles échangeaient des idées. Ceci aida à la consolidation du répertoire entre les deux milieux. L’arrivée de la domination britannique (qui commençait en 1858 jusqu’à l’Indépendance en 1947) mena la danse Kathak (entre autres) vers un net déclin, celle ci étant rabaissée et associée à de la prostitution, elle acquit une mauvaise réputation. Toutefois les Gharanas maintenaient leurs enseignements, certaines Tawaifs ont joué un rôle primordial dans la conservation et la continuation de ce style même s’il était dénigré officiellement. Des artistes exploraient le phénomène de troupes de danse et créaient leurs écoles, la danse s’ infiltrait également dans l’industrie du cinéma. Finalement, la danse indienne reçu une reconnaissance internationale. A ce jour la danse Kathak a retrouvé sa popularité et sa forme courante est une synthèse de toutes les influences qu’elle a reçu dans le passé, les aspects des cours mogholes et de l’ère romantique se marient confortablement avec les aspects religieux/mythologiques des temples hindous.

Sans objectif professionnel, à 35 ans, j’ai commencé ce voyage passionnant, baigné dans les histoires et légendes millénaires, la rigueur des disciplines classiques et testé ma patience immergée dans des méthodes pédagogiques parfois déroutantes mais subtilement enrichissantes. J’en ressors enrichie autant sur le plan personnel que professionnel, finalement. En Inde la musique, le chant et la danse sont considérés comme une haute forme de Yoga, d’Union, de canalisation d’une énergie plus grande et d’offrande, nommé Nada Yoga.

nautchphoto.jpg
Three_Nautch_girls_dancing_in_costume,_by_Charles_Shepherd.jpg
bourne1860s.jpg
photo1870b.jpg
Vipralabdha Nayika one deceived by her lover.jpg
maud moncla